Comme vous le savez (ou pas), je suis rentrée au pays il y a maintenant trois ans, après avoir passé une décennie à travers l'Europe…j’ai été ravie alors de retrouver le soleil béarnais, mes belles Pyrénées et les gens que j’aime. Mais je ne me doutais pas que j’allais perdre dans le même temps quelque chose qui m’était particulièrement cher : le street-art.
En effet, quelques mois après mon arrivée, la nouvelle municipalité mettait en place une vaste opération de nettoyage de la ville, aidée de sa nouvelle «
brigade anti-tag », dont je me suis tristement amusée à noter la fulgurance d’action… Dès qu’un « tag » apparaissait, comme ici en Novembre 2014
dans le Hédas...
...il était quasiment instantanément effacé - le temps d’un rapide instagram et pfffuit disparu. Voici le même mur, 3 jours après :
Certes, le street-art est un art éphémère et c’est pour ça qu’on l’aime, mais enfin là, ça devenait presque vaudevillesque. Le challenge pour l’amateur de cette forme d’expression, devenait alors de dégainer son appareil photo plus vite que leur rouleau nettoyeur…une sorte de duel des temps modernes. Le premier qui tire a gagné. L’autre est mort. Et avec lui, l’artiste, ses idées, son coeur, son message…et toute l’âme de la ville.
Car c’était, de la part de la municipalité, non seulement oublier de faire le distinguo entre « tag » et « street-art », et oublier que oui, les touristes comme les habitants d’aujourd’hui aiment se promener dans une ville belle et propre comme elle l’est aujourd’hui, mais aussi de découvrir une ville avec ses éventuelles rugosités artistiques.
Heureusement, nous avons la chance d’avoir à Pau un maire qui n’est pas idiot, qui est amateur d’histoire et de culture lui-même et qui sait aménager ses directives si la situation et les gens le demandent. J’avais ainsi déjà pu noter que les 7 space-invaders de Pau avaient été laissés, même celui de la place Reine Marguerite alors même que la façade du bâtiment a été refaite. J’imagine que quelqu’un a donné l’ordre à la lumineuse brigade anti-tag de les y laisser...
Et là en cette fin 2015, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que la municipalité elle-même avait donné le GO à un groupe d’artistes palois pour «repimper» de leur art la rue des Cordeliers - et notamment les nombreuses vitrines vides avant qu’elles ne soient - espérons-le suite à la rénovation globale de la rue - réinvesties par les commerces.
A l’origine, je ne suis pas fan du "street-art commandité », mais n’étant pas certaine que c’était bien le cas ici, j’ai décidé pour en avoir le coeur net d’aller poser directement la question à L’Atelier Ambulant, le collectif d'artistes qui s’est chargé de « décorer » ainsi la rue des Cordeliers…
C’est Marika Gysbert, artiste hyper-active de 34 ans, qui a dirigé le projet avec son associé Mathieu Codel et avec l’aide de très nombreux artistes de Pau (et même du monde
entier) qui a gentiment accepté de répondre à mes questions, pendant qu’elle continuait son travail de collage dans la rue...
Comment en êtes-vous venus à réaliser ce travail dans la rue des Cordeliers ?
Marika : A l’origine, nous avons réalisé une expo pour l’inauguration, le 24 octobre 2015, de notre Atelier (qui est situé au coeur de la rue des Cordeliers Ndlr) sur le thème « Octobre rose », et c’est à cette occasion que l’OFCAP (l’Office du Commerce et de l'Artisanat de Pau) nous a demandé si nous accepterions de réaliser un graff pour l’inauguration prochaine de la rue des Cordeliers. Nous avons été enchantés de cette proposition mais avons proposé du collage plutôt que du graff, car c’est davantage dans l’air du temps, et car cela n’avait pas encore été fait à Pau. Ils ont validé notre idée, et nous ont soutenu sur la partie juridique du projet (il fallait s’assurer de ce qu’on avait le droit de faire sur les vitrines des boutiques inoccupées, des autorisations des propriétaires, etc). Pendant ce temps-là nous nous sommes chargés de contacter des artistes de partout, qui nous ont envoyé des dizaines de dessins, que nous avons imprimés. La majorité des dessins sont des impressions sur papier, des photocopies, mais il y a aussi des originaux.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour réaliser tout ce travail ?
Marika (dans un rire) : 10 jours ! Oui, je sais, on est dingues ! Et ce n’est pas tout à fait fini d’ailleurs…regardez ce que nous sommes en train de faire...
Ces artistes (et vous-même) avez été payés pour réaliser ce travail ?
Non, nous avons juste reçu une participation financière de la ville. Mais nous avons fait cela avant tout pour notre rue, les commerces, la ville, et parce que c’est dans la philosophie de notre association : nous sommes dans un esprit de partage de bons procédés. La municipalité nous a aidés en nous donnant son feu vert et en s’occupant de la partie juridique par exemple. C’était déjà bien. Nous, nous étions contents de pouvoir afficher nos créations et celles des nombreux artistes participants sur un espace comme celui-là, que nous aimons et dans lequel nous vivons au quotidien. Puis de nombreux bénévoles sont venus nous aider à imprimer les dessins et à les coller. Bon, nous avons pris aussi quelques sauts d’eau mais heureusement la grande majorité des gens que nous avons croisés ont réagi de manière extrêmement positive à notre projet ! Depuis, des gens d’autres rues nous demandent si on peut refaire aussi leur devanture de magasin ou même réaliser un travail chez eux !
Y a-t-il un message global à lire dans toute la rue ?
Notre volonté était de faire passer un message positif, de rendre le sourire à la rue, et nous organisons ainsi les très nombreuses contributions que nous avons reçues en ce sens : c’est comme ça que vous avez ici par exemple au centre un gros coeur rouge et que nous avons choisi de mettre un dessin de tête de mort que nous avons reçu plutôt en bas à droite de la vitrine…Et c’est un peu comme ça tout le long...
Et alors…quelle est votre vision personnelle du « street-art commandité » : plutôt pour ou contre ?
Oh, vous savez il y a deux démarches dans le street-art. Nous dans le collectif, nous ne sommes pas dans le vandalisme, mais plutôt dans une démarche de don, de création et de respect de la ville. Nous donnons notre art à un ensemble de gens, pas à une personne, c’est fait pour appartenir à tout le monde. C’est un peu comme le travail d’une municipalité en somme… J’aime ma ville et la vie urbaine. Je trouve qu’il vaut mieux venir au centre ville faire les magasins avec ses enfants plutôt que d’aller dans des hypermarchés, c’est plus sympa, plus humain. J’aimerais que les gens reviennent en centre ville. Et si notre travail peut y aider, alors nous sommes là !
Voyez-vous plus de gens passer depuis que la rue a été refaite ?
Oh oui, il y a clairement beaucoup plus de passage maintenant, le revêtement y fait beaucoup. C’est devenu un vrai circuit piéton. Espérons maintenant que des magasins divers et intéressants ré-ouvrent peu à peu dans la rue !
Merci Marika et bravo à vous et à tous les artistes pour ce travail remarquable !
Pour contacter L’Atelier Ambulant :
Email : latelierambulantdepau [at] gmail.com