Je t'avais appelée Virgule...Parce qu'à cette époque de ma vie, tu étais un peu ce qu'une virgule est à une phrase : une courte pause. Une pause à chaque fois que je sortais te promener entre mes cours à la fac, mes petits boulots ou mes cours de sculpture. Mais tu as été bien plus qu'une courte pause, qu'une simple virgule. Bien plus qu'une phrase ou qu'un chapitre de ma vie. Bien plus même qu'un roman, c'est une véritable épopée que j'ai vécu avec toi ces treize dernières années.
Treize années à tes côtés. Mon compagnon de solitude. Tu as marché dans chacun de mes pas, a suivi ma trace sans jamais t'égarer, sauf peut-être cette dernière année où le grand âge a peu à peu brouillé tous tes sens...ou cette fois un peu loufoque - quoique - où tu as pris le train par mégarde, seule, en direction de Hanovre...
Tant de souvenirs partagés, d'anecdotes que je pourrais raconter, depuis que je suis allée te chercher à la SPA de Lyon. Tu étais toute petite. J'avais vingt-et-un ans. J'en ai trente-quatre aujourd'hui. Treize années à marcher dans mon ombre. Mon double. Le témoin de mes amours. A dormir sur une couverture de fortune et à fermer les yeux, toujours indulgente et compréhensive, ne me jugeant jamais. Témoin de mes ruptures. De mes pleurs dans la chaleur de tes poils qui ont toujours senti si délicieusement mauvais. Colocataire de mes valises. Compagnon de mes départs.
L'Allemagne. Mes déboires. Tes yeux patients. Mes joies. Ta queue frétillante. Nos sorties dans le Lindenpark, où tu galopais joyeusement, reniflant ça et là, à la recherche de quelque dégoutante merveille à dévorer à toute vitesse avant que je ne t'attrape pour te gronder. Par tous les temps. Dans la nuit noire comme dans les brumes neigeuses des petits matins du nord. Le bruit de tes griffes sur les trottoirs de mon quartier. Ton attente docile devant la boulangerie, avec pour seule laisse ta patience infaillible et ton amour infini. Ton bonheur de me voir revenir, croissants chauds en main, et ne même pas m'en vouloir quand, trop pressée de prendre mon petit déjeuner, j'omettais de t'en donner un morceau.
Tu m'as accompagnée dans chacun de mes aller-retours en avion, dans mon sac à dos sur mon vélo en direction du boulot - tu es même devenue mascotte de Jimdo pendant les premières années de la start-up... Et est devenu un personnage important de mon "Webopathe", le roman que j'ai écrit pendant ces années hambourgeoises.
La Belgique. Tu m'as suivie partout dans la triste et grise Bruxelles, toujours à moins de trente centimètres de ma jambe. Tu as accueilli l'arrivée de mon premier enfant avec philosophie et rempli ton nouveau rôle de gardien de troupeau avec brio, dormant devant la chambre du bébé et courant me chercher dès que celui-ci pleurait.
J'ai toujours pu compter sur toi pour me tenir compagnie sur mon lit, pour garder mes pieds au chaud pendant mes nuits solitaires ou quand j'étais malade. A Hambourg il y a dix ans, comme cette année, pendant les derniers mois de ma deuxième grossesse.
Encore un bébé. Encore une infidélité dont tu ne m'as pas tenu gré. Tu as, comme pour le premier, voulu garder le sommeil du bébé...
...sauf que c'est dans ton urine qu'on t'a retrouvée deux fois au pied du berceau...car trop fatiguée et trop âgée, tu n'avais plus la force de te réveiller et de te lever pour demander à sortir, toi qui as pourtant toujours été si admirablement propre et communicante. Et on a fini par t'enfermer la nuit dans le salon pour pouvoir dormir tranquille, car tu toussais trop, l'oedème pulmonaire causé par ton coeur défaillant ne cessant de grandir. On a pourtant essayé de te soigner, te donnant chaque jour depuis un an tes médicaments. Mais s'ils t'ont soulagée un peu, ils n'ont pu faire de miracle. Le feu s'est éteint petit à petit...Et dans tes yeux, toujours cette patience infinie...Mais teintée de plus en plus de tristesse... Je vais m'en aller tu sais, semblaient-ils me dire, sous leurs épais sourcils devenus blancs. Et je détournais le regard car chaque fois cette pensée me faisait pleurer. Et je ne voulais pas pleurer devant les enfants. Et pourtant aujourd'hui impossible de retenir mes larmes. Ma Virgule, mon compagnon des treize dernières années. Le témoin de ma solitude. Mon plus fidèle ami. Tu me manques tellement déjà.
Au revoir ma Virgule...